Si la musique était une culture, la Suisse serait un orchestre symphonique. Et pour faire entendre sa voix au sein de ce chœur, en tant que marque, savoir déchiffrer les notes culturelles peut permettre de créer de la confiance et de s’ancrer dans les cœurs et les esprits, comme une rengaine ! Pour cela, gare aux fausses notes.
Imaginez. Vous êtes invité.e par une vague connaissance à une soirée à laquelle vous ne connaissez personne. Face à la perspective de passer, seul.e, 20 minutes à choisir un film sur une plateforme de streaming, vous sautez le pas et acceptez d’entrer dans la cage aux lions. Vous faites le trajet et entrez dans le salon dans lequel se tiennent de purs inconnus. L’hôte est introuvable. En vous servant un verre, vous avisez votre voisin qui fait de même. Vous le savez, c’est une fenêtre de tir. C’est le moment de créer une connivence, à coups de phrases complices et de références culturelles.
Cette connivence, c’est celle que visent les communicateurs et les marques, a fortiori lorsqu’ils cherchent à déployer leurs messages. Mais comment faire pour prendre en compte le Röstigraben tout en évitant les stéréotypes ? Pour créer des messages qui touchent leurs cibles ?
1. Un message juste traduit n’est pas un message juste
Cet été, la traduction littérale d’un jeu de mots allemand a poussé l’une des plus grandes entreprises suisses à vendre des couches-culottes pour enfants avec le claim “Un bon plan pour vos animaux”.
Il y a quelque temps, une société de transports nationale a lancé une campagne avec le message “De mes propres mains, j’ai rapproché le Valais du Lac Léman.” alors qu’en Suisse romande, il est plus courant de parler du Léman tout court (ou du lac de Genève si l’on est du côté de la Cité de Calvin – mais n’entrons pas dans le débat !-).
Bref, traduction n’est pas raison. Pour qu’une opération de communication vise juste, elle doit prendre en compte les références partagées par une population, que ce soit au niveau des messages, de l’humour, des références, des médias et canaux employés, mais aussi des images voire des couleurs.
2. La rigueur de la science contre la force des clichés
Bons vivants et en retard d’un côté, très organisés et pragmatiques de l’autre, pour s’épargner les clichés, rien ne vaut une analyse fine des publics et du recul. Un détour par la littérature scientifique s’impose !
Dans l’étude “La perception de la publicité bi-référentielle selon l’origine culturelle : Étude de cas entre la Suisse romande et la Suisse allemande” de Dimitri Grossenbacher, de l’Université de Fribourg, publiée en 2015, l’auteur compare les cultures suisse romande et suisse allemande. Pour cela, il utilise la classification de Geert Hofstede, un psychologue social qui a passé au crible 4 dimensions structurant chaque culture :
- le rapport à la hiérarchie,
- à l’individualisme,
- à l’incertitude
- et à la masculinité.
Un rapport différent à l’autorité
En étudiant le rapport de la Suisse allemande et de la Suisse romande à ces différents axes cardinaux, un résultat saute aux yeux ! La dimension qui sépare le plus la Suisse romande et la Suisse allemande est la distance hiérarchique, avec un indice, respectivement, de 70 et de 26. Derrière ce terme, se cache tout simplement la manière que les individus ont de tolérer l’autorité, la hiérarchie, la verticalité dans les décisions voire les conseils des aînés.
Lorsque l’indice est grand, on parle d’une société à grande distance hiérarchique. Les individus acceptent leur place et ne la remettent pas en question. A contrario, dans une société à faible distance hiérarchique, les individus cherchent à réduire ces inégalités.
Quelle application dans la communication ?
Il faut prendre en compte ce rapport à la hiérarchie, dans les messages comme dans les images ! En territoire romand, il est pertinent de montrer des situations personnelles ou professionnelles, où les décisions proviennent d’un nombre réduit de personnes.
Outre-Sarine, à l’inverse, les contenus montrant de l’égalité et des rapports plus horizontaux sont à privilégier. Dans cette optique, le tutoiement est souvent de rigueur !
3. Garde à vous VS gare à toi
On ne s’adresse pas de la même manière à un Suisse allemand qu’à un Suisse romand.
Si le tutoiement est majoritairement perçu comme une atteinte à la vie privée par les Romands (à 52%), les Suisses allemands sont 32% à être d’accord avec le fait que “le vouvoiement est vieillot et construit inutilement des barrières”, d’après le dernier sondage de l’agence Marketagent Schweiz, publié début 2023.
Pour la langue inclusive, le rapport est plutôt tranché. Quasiment la moitié des Suisses romands sont favorables à l’emploi de cette dernière dans les publicités, contre 29% outre-Sarine. Donc là encore, on s’adapte !
4. Et l’humour dans tout ça ?
Pour toucher les gens, l’humour peut être un boulevard. Mais pour qu’il ne se prenne pas de porte, les références utilisées doivent être les bonnes. Côté Romandie, les références utilisées peuvent facilement s’orienter vers l’Hexagone, il n’y aura pas de faux pas. Mais de l’autre côté du Röstigraben, il s’agit de s’orienter du côté de l’Allemagne.
Et pour avoir du succès, la barrière de la langue, c’est un peu comme l’Everest. Difficilement franchissable. Si Joseph Gorgoni alias Marie-Thérèse Porchet a du succès dans les régions germanophones, c’est bien parce qu’en 2008, le comédien a fait tout son spectacle en suisse allemand (dans le dialecte bernois).
Au niveau national, un seul humoriste a triomphé des deux côtés de la Sarine… sans oublier le Tessin et l’Allemagne. Il s’agit d’Emil, ce Lucernois qui a incarné pendant des dizaines d’années un personnage bünzli comme disent les Alémaniques. Sa recette ? Il parlait français chez les francophones et suisse allemand chez les Suisses allemands. Tout simplement.
De l’ignorance de la marque à la fidélisation, une personne passe par plusieurs étapes avant d’”intégrer” la petite rengaine d’une marque. Pour s’ancrer dans les cœurs, il faut que celle-ci soit sur la même fréquence que la fréquence locale ! Au sein de l’Agence Trio, nous vivons cette diversité culturelle au quotidien et proposons l’offre cultural check à toute marque qui souhaite s’accorder avec les fréquences nationales ou locales.